Les deux journées qui suivirent furent arrosées de pluies torrentielles,  des éclairs zébraient le ciel de leurs superbes zigzags, des roulements de tonnerre faisaient vibrer le monastère collé au versant abrupt de la montagne... Les monts environnants, la forêt au fond de la vallée, le monde  familier dans son ensemble - tout avait disparu derrière l'épais rideau de pluies diluviennes que déversait le ciel. Par un temps pareil, la chose la plus agréable à faire était sans aucun doute de rester assis au coin du feu en plongeant son attention dans la valse ininterrompue des  languettes de flammes et en admirant le jeu imprévisible de leurs différentes couleurs qui ne naissaient que pour disparaître instantanément.

Le maître nous avait défendu, à Chang Chang et moi, d'accomplir nos promenades quotidiennes - il avait déclaré qu'il nous était " absolument interdit de risquer ne fut-ce que notre bec en dehors des limites du monastère, afin d'éviter de nous engluer dans quelque sale piège installé par les forces obscures qui pullulaient dans les environs."

Nous voilà donc assis, la majeure partie du temps, dans la cuisine, les "becs" tournés vers la chaleur sèche du feu. Dès que je dispose d'une  marge pareille de temps libre, j'essaye de combiner l'agréable désoeuvrement de la cuisine et la communication avec mon dragon - je lui parle, je joue et je m'efforce de comprendre ce que je pourrais bien faire lors d’un combat énergétique, et comment  je pourrais y parvenir.

Pour le moment, ce n'est pas une franche réussite! Je n'arrive toujours pas à établir avec lui des relations acceptables. Depuis le temps que nous nous connaissons, il n'a pas proféré un seul mot... c’est à peine s’il montre quelquefois ses dents d'un air féroce et s’il crache un nuage de flammes en balançant sa tête d'un côté à l'autre. Et moi je me demande : est-ce qu’il sait vraiment parler? ne m'aurait-on pas fourgué je ne sais quel dragon complètement muet?

Mes tentatives pour m'infiltrer dans son corps et me fondre avec ses palais de jade furent elles aussi sans succès - à l'intérieur, une flamme si puissante s'agitait en dégageant une chaleur tellement intolérable, que je pus à peine la supporter le temps de quatre battements de coeur, avant de m'éjecter de là, comme ébouillanté... En état de choc, je m'examinai des pieds à la tête - je m'attendais à découvrir en lieu et place de mon corps un tison carbonisé de quelque chose de pas appétissant du tout. Et par dessus le marché, pendant mon bref  séjour dans ses entrailles, j'en étais arrivé à la déduction - ou plutôt, à la conclusion précipitée - qu'il était totalement dépourvu de tout organe interne, de toute structure énergétique habituelle... à mon avis, tout n'est là-bas que flammes de formes et de densités variées, entre lesquelles giclent des émanations brûlantes - d'ailleurs, je n'éprouve même pas l'envie de vérifier cette supposition.

J'essayai de m'armer de patience et de me bercer de pensées réconfortantes : tout de même, ce n'est pas sans raison qu'il était venu jusqu'à moi, ni par hasard que le seigneur des dragons m'avait affirmé qu'il m'appartenait... Je tentai donc de me rapprocher de lui encore et encore et d'attirer, par tous les moyens, son attention. En réalité, le problème n'a pas l'air bien difficile à résoudre - il suffit simplement de trouver la clef qui me permettrait de faire alliance avec lui, et ça ne doit certainement pas être trop compliqué!

En même temps, plein de petites pensées se glissaient insidieusement dans ma cervelle : dommage que je n’aie pas demandé au souverain ce qu’il fallait faire pour parvenir à mes fins... périodiquement,  le désir me prenait d’aller aux informations... de lui rendre visite à nouveau... mais tout de suite, son image m’apparaissait - il se riait de moi et me disait, entre deux éclats de rire, que, de toute évidence, je m'étais attelé bien vainement à cette tâche... qui, d'ailleurs, ne devait pas être si aisée, puisque je ne savais même pas par quel bout la prendre!

J’émergeai enfin de ces visions blessantes pour mon amour propre et  me retrouvai assis, à mon grand soulagement, dans la cuisine - les roulements de rire qui continuaient à résonner à mes oreilles étaient en réalité des roulements de tonnerre qui faisaient trembler l’assise de notre montagne.

 De temps à autre, le doyen nous rendait visite, l'air très concentré, l'énergie fortement activée ; il parcourait d’un regard attentif le contenu de la cuisine, lançait quelques mots d'encouragement et disparaissait aussitôt. Ainsi qu’il me l’avait expliqué deux jours auparavant, le temps était à présent venu de parachever, pour assurer la protection du monastère, la mise en place d'un système de défense accompli, imparable et, dans la mesure du possible, imprévisible.

Du fait de l’imminence de l’attaque, toutes ses forces, toutes ses réflexions convergeaient sur le moyen d’édifier une enveloppe énergétique à plusieurs couches, qui  renfermerait - à l'intérieur comme à l'extérieur - la plus grande quantité de pièges possible.

Tous les frères, comme d'ailleurs le monastère entier, vivaient à un rythme soutenu, sous la pression des préparatifs du combat à venir - seuls Chang-Chang et moi en étions exclus car, avait déclaré mon maître, « un autre genre d'épreuves vous attend ». Nous voici donc en train de nous réchauffer dans la cuisine à coté d'un feu qui crépite de mille flammes dispensatrices de bien-être, dans les effluves appétissants des plats en cours de préparation.

Et lorsqu'il me devient trop insupportable de rester assis là, à ne rien faire, je me rends dans la salle d'entraînement aux arts martiaux, j’invente un ennemi imaginaire qui m’encercle et je me mets à  tabasser deux ou trois petits bonshommes de bois. Tu te mets en eau, tu te débarrasses de toute les ferments accumulés dans l'inaction - et tout de suite tu commences à te sentir mieux, ta bonne humeur revient et après toute cette inactivité, tes muscles sont heureux de pouvoir enfin se décontracter.

Et voilà! maintenant, après une énième tentative pour attirer d'une manière ou d'une autre l'attention du dragon qui m'ignorait comme toujours, je décidai de me secouer à nouveau. Je pris la veste sur laquelle j'étais assis et j'empruntai le couloir en direction de la salle, dans l'idée d'aller infliger une bonne raclée à la prochaine bande de brigands  qui ne manquerait pas de m'assaillir de tous côtés.

En passant devant une des fissures qui tenait lieu de fenêtre, je m'arrêtai pour jeter un oeil sur l'ondoyant rideau gris d’une pluie torrentielle qui, dehors, continuait à se déverser sur le monde. Quelque part à gauche, tout près, un éclair aveuglant brilla ; il déchira le voile gris en deux pans et déchiqueta en lambeaux ses bords qui continuèrent à pendouiller devant mes yeux, même lorsque mon regard se déplaçait sur un autre objet ou se portait sur le mur intérieur. Cette trace lumineuse qui vibrait dans mes yeux me parut d'un intérêt d'autant plus grand que l'éclair l'avait tracée de bas en haut - de la Terre vers le Ciel. Le fait était  complètement insolite! Tout en me concentrant sur l'effort qui devait me permettre d'effacer ce motif de mes yeux, je m'arrêtai devant la fenêtre et je continuai à écarquiller stupidement un regard vide sur la muraille de pluie qui bruissait.  Encore un nouvel éclair! Il flamboya et son arabesque aveuglante zébra le ciel de bas en haut, légèrement à droite de la trace qu'avait laissée au fond de mes yeux le précédent éclair. Voilà qui venait encore me compliquer considérablement la tâche, alors que j'essayais toujours de me débarrasser des zigzags complexes de la première empreinte.

C'en devenait même intéressant!

J'accueillis ce fait à la fois comme une provocation et comme une preuve - comme quoi, à l'heure actuelle, mes capacités se réduisaient à très peu de choses, y compris au niveau interne - et dans ce cas à quoi pouvais-je prétendre  lors de mes confrontations avec les autres? Je fus aussitôt assailli  par le désir de me prouver à moi-même que j'étais bien de taille à effectuer cette tâche - tout ça n'était qu'une question de manque de pratique, voilà tout! Mais, sur le champ, je ne sais quelle voix en moi déclara assez méchamment qu’il ne serait pas mauvais d‘en apporter la démonstration - parce qu’ici, disait-elle, il n’y a que des prétendus maîtres, mais dès qu'il s'agit d'aller en besogne, alors là tout part en vrille! 

Pendant que je m’indignais intérieurement de ces allusions transparentes - qui étaient autant de pierres balancées dans mon jardin! - deux nouveaux éclairs vinrent zébrer le ciel en s’entrelaçant avec une subtile complexité. Encore un problème qui venait s'ajouter à l'obligation que je m'étais imposée de prouver mes capacités!

C'était à présent devenu une douloureuse affaire d'honneur blessé - j'enracinai donc mes jambes dans la terre, je décontractai toutes les parties de mon corps, je les assouplis, puis je plaçai mes mains devant mon ventre et commençai à les activer. Et de plus, il ne fallait évidemment pas que je détache mon regard du pan de tissu gris périodiquement déchiré par d'aveuglantes hiéroglyphes.

Puisqu'il faut se battre, allons-y, battons-nous! Le duel doit être franc, et je me trouve dans l’obligation de remporter la victoire!

Je montai l'énergie au niveau des yeux et de la tête, je créai un rideau énergétique devant moi, je m'entourai d'un courant d'énergie, je densifiai l'énergie de la montagne en guise de barrière défensive supplémentaire, puis je tirai à moi les tentacules énergétiques qui provenaient des arbres de la vallée ainsi que des montagnes avoisinantes.

Je luttais comme un possédé, je cherchais sans relâche de nouvelles ressources pour assurer ma défense, je créais des filtres protecteurs   additionnels pour parer aux nouvelles zébrures qui flamboyaient encore et encore, puis allaient s'imprimer au fond de mes yeux. J'avais l'impression que la nature avait relevé mon défi - en effet le scintillement des éclairs était quasi ininterrompu et un flot sans fin de signes de feu qui se contorsionnaient à qui mieux mieux était projeté dans mes yeux.

Je fus saisi du sentiment douloureusement familier de lutter désespérément - comme lorsqu'il n'y a plus de voie de retraite possible, lorsque tu te sais obligé de vaincre ou de périr, lorsque tu as cessé de te sentir en possession de tes forces et que tu te trouves de plus en plus réduit à un mécanisme idiot accomplissant on ne sait quelles actions apprises, ce qui te permet juste de prolonger ta vie quand tu as cessé de comprendre ou de réaliser quoi que ce soit. Seule subsiste la question de savoir lequel des deux adversaires tombera à terre le premier, sans forces, afin que l'autre l’achève et tombe à son tour à ses côtés - mort, lui aussi...?

Me voilà tant et si bien entraîné dans ce processus que je me mets à comprendre le langage des éclairs! Ils insinuent avec insistance que  je ne vais jamais tenir le coup, que je vais capituler, me briser...

Je sentais que quelque chose se fissurait dans ma tête - comme si des barrières étaient en train de se rompre... Des éclairs venaient remplir de leurs gros corps de serpent tout luisants les brèches qu'ils avaient eux-mêmes creusées et allaient s'y loger, pour se précipiter ensuite dans les parties les plus profondes, demeurées vacantes. Mes yeux grands ouverts, paralysés, au regard fixe, commencent à fusionner avec le reste de ma tête en un seul et même espace vide, abandonné par les dernières étincelles de conscience et scintillant d'une gerbe d'éclats lumineux.

Et voilà que je me trouve poussé sans cérémonies hors de mon propre corps, en train de l’observer, dans la plus totale impuissance, et de le voir progressivement asservi par des créatures abjectes. Je commence à comprendre que je suis tombé dans un piège et qu'il ne m’est plus possible d’en réchapper. Je m'écarte du corps pétrifié dans une posture de défi qui me devient de plus en plus étranger, et je mobilise toute mon attention  pour avertir mon maître de l'attaque qui débute. En parcourant les alentours du regard, je distingue un grouillement d’ombres imprécises - elles sont en train de proliférer autour du corps qui jadis fut le mien, et qui à présent se tient là, sans rime ni raison, le regard exorbité... des sortes de chauves-souris... du bout des griffes de leurs ailes s'échappent des éclairs miniature qui se dispersent en tous sens... des corps semblables à des serpents avec des queues-éclair... d'autres créatures encore, d’une laideur invraisemblable, en train de se précipiter dans les couloirs et les chambres...

De très très loin, je ne sais d'où - d'un autre monde, d'une autre vie - me parvient la voix de mon maître : il m'ordonne de rentrer sur le champ au sanctuaire. Je m'efforce de réaliser de quoi il me parle, de pénétrer le sens de ses mots, en suspens quelque part par là, tout près... je sais que je dois leur faire confiance... ils m'appellent à me rendre quelque part et  je dois m'y soumettre, car ce sont les conseils d'un ami.

Lentement et avec difficulté, comme englué dans une épaisse mélasse, je commence à me déplacer vers un lieu quelconque, mais je ne comprends toujours pas le but de mes efforts. Voilà... j'ai réussi à m'écarter suffisamment du foyer d’éruption de ces saloperies pour me sentir un tout petit peu plus libre. J’ai retrouvé la direction précise du temple et je me hâte d'exécuter  l'ordre de mon maître, mais soudain, je me fige sur place - je vois les démons bondir, en piaillant et en grimaçant, hors du corps emprisonné. L'éruption devient de plus en plus impétueuse, la coulée de lave de leurs corps qui se contorsionnent arrive jusqu'à moi - elle m‘inonde, m'engloutit...

Sous la poussée, me voilà, tel un bouchon, éjecté de la galerie intérieure et rejeté assez loin, dans la nappe de pluie qui s'abat interminablement sur la terre.

Des myriades de monstres rampants, bondissants ou volants, sortis des locaux du monastère, ont jailli sur la terrasse, l'ont envahie et occupée à ras bord, puis sont venus se coller au bâtiment du sanctuaire. Au coeur de leur masse sombre surgissaient, au fur et à mesure de leur avancée, tantôt des trous qui avalaient avec avidité leurs corps par centaines, tantôt des explosions de feu qui carbonisaient tout sur leur zone d'impact, tantôt d'étranges installations qui, comme de gigantesques mâchoires, se mettaient  brutalement à broyer ceux qui se trouvaient là. Mais ni ces pièges, ni d’autres - aussi  ingénieux, rusés et cruels soient-ils - ne purent arrêter, ni même ralentir, l’expansion de cette masse grouillante de couleur gris brun.

Lorsque cette vague irrésistible parvint jusqu'aux portes de la cuisine, on entendit s'élever les cris et les hurlements des malheureux enfermés là-bas, puis cette explosion de désespoir s'éteignit, engloutie, comme toutes les autres, par la horde de rapaces assoiffés de sang.

Brusquement, la partie de terrasse où le maître et moi avions coutume de nous asseoir afin de méditer se détacha pour aller s'effondrer au fond du précipice, entraînant avec elle des monceaux de créatures non volantes. Puis, au-dessus de l'entrée du sanctuaire, la pluie céda la place à une coulée de je ne sais quelle énergie bleutée qui volatilisait les corps et les fantômes énergétiques des envahisseurs. Mais en dépit de tous ces  obstacles, la horde atteignit les portes du sanctuaire et se mit à cogner sur la barrière énergétique qui venait juste de surgir. 

Je tentai de me jeter au secours de mes frères, au prix d'incroyables efforts - mais le flot en provenance des locaux intérieurs du monastère s'abattait avec une force telle, que ma  réussite se résuma en tout et pour tout à rester à peu près à la place où ce même flot m'avait éjecté tout à l'heure. La barrière  défensive du sanctuaire tenait bon sous la ruée - elle ployait légèrement dans un crépitement d'étincelles bleutées. Sans prêter aucune attention à l'opposition de cette barrière, des foules de créatures continuaient à exercer sur elle leur pression. Les vagues démoniaques qui arrivaient par derrière grimpaient, presque sans ralentir leur avancée, sur les dos des vagues précédentes qui, au lieu d'aller de l'avant, traînassaient sans progresser. L'amoncellement de tous ces corps qui faisaient pression sur la porte du sanctuaire grossissait à vue d'oeil - jusqu'à recouvrir tout le portail. Mais cela n'arrêtait pourtant pas le mouvement. Des centaines de nouveaux arrivants ne cessaient de se hisser sur les dos et les têtes de ceux qui s'étaient arrêtés - jusqu’à ce qu'en définitive, le sanctuaire se dérobe à la vue, enseveli sous une montagne mouvante de corps, de pattes, de têtes et de queues.  

Brusquement, ce mouvement chaotique ininterrompu cessa. Le sanctuaire avait revêtu un aspect démoniaque dont les multiples têtes se tournèrent soudain, à l’unisson, en direction de la sortie de la galerie - tandis que ses corps, eux, conservaient leur immobilité, paralysés dans un gouffre de silence retentissant. L'averse qui s'abattait sur la surface de la Terre en souffrance s’efforçait encore et toujours de laver la saleté du monde terrestre, mais elle se montra impuissante à recouvrir l'horreur animale du silence qui répandait sa destructivité autour de lui. Du couloir surgit un groupe de démons gigantesques au centre duquel avançait sans se hâter une vieille vêtue de noir. Elle sortit sur la terrasse, s'arrêta, retenant ainsi la progression de tout le groupe, pencha la tête, puis s'immobilisa dans une posture d'attente circonspecte.

Je l'observais, abasourdi - je réalisai que j'avais devant moi la mère magicienne du clan des démons, sacrée entre toutes. Elle leva brusquement la tête, tourna vers moi un visage qui me fit trembler d'effroi. Au dessus d'une bouche plutôt petite et d'un menton aux contours affirmés, des pommettes incroyablement larges se déployaient brusquement. Elles se prolongeaient tout naturellement, plus haut, par d'immenses yeux vert vif, étincelants, divisés en deux moitiés égales par les  stries verticales des pupilles qui fendaient de part en part le lac émeraude qui les entourait. Son large front s'auréolait du noir d'une toison épaisse et volumineuse, et des deux côtés, de part et d'autre de son front, béaient les trous de deux autres yeux, plus petits que ceux du visage, scintillant d'une flamme orangée à l'éclat chargé de méchanceté.

Elle me transperça de l'éclair glaçant de son regard multicolore en éclatant de rire, et son corps frêle en fut tout agité de soubresauts. 

" Où êtes-vous donc allées vous enferrer comme ça, bande de créatures écervelées? Ce que nous sommes venus chercher ne se trouve pas là-bas!

Dans votre rage et votre hâte, vous êtes passé à côté du vrai fauteur de tous nos troubles!"

Elle étendit le bras dans ma direction, pour indiquer à l’attention de tous le petit nuage d'énergie suspendu là-haut, impuissant, qui égrenait en vain toute une collection d’images imprécises - mais c’était à peine si  leur forme arrivait à se modifier!

Des milliers de têtes se tournèrent dans la direction indiquée et se mirent à zieuter vers moi, abasourdies.

Un silence encore plus assourdissant s'installa, qui me dévasta pour de bon. A présent, je pouvais même entendre remuer faiblement au fond de moi les quelques vestiges de pensées qui avaient survécu. Mais lorsque je tentai d'entreprendre quelque chose dans cette atmosphère si décourageante, il faut croire que je perdis même ces restes, car ensuite, il ne subsista plus, à l’intérieur de moi, qu’une peur dégoûtante qui suçait toutes mes forces.

La masse de corps pétrifiée se mit soudain à remuer, on entendit d’abord des voix incertaines, puis une sorte de choc énergétique qui allait croissant : toute la horde était secouée d’un rire narquois et tonitruant.

" Et c'est lui que nous avions à redouter?!!

C'est ce petit rien du tout qui était censé nous inspirer la peur d'être anéantis???

C'est à cause de ce petit grain de poussière que nous avons dû engager cette offensive, d’une envergure sans égale dans notre histoire??!!!"

Voilà à peu près le genre de cris, accompagnés de nombreuses autres clameurs du même acabit, qui retentissaient à présent dans l‘espace. Et comme pour acquiescer à l'absence de fondement de tous les efforts investis, l'averse elle-même commença à se calmer...