Les techniques orientales traditionnelles de l’autorégulation peinent à obtenir une reconnaissance dans les mentalités occidentales. Seuls des résultats évidents, s’appuyant de manière objective sur les postulats de la médecine classique occidentale, peuvent diminuer cette aversion, incompréhension et mauvaise volonté à comprendre le mécanisme de l’influence des techniques orientales. Pour l’occidental, celles-ci ne sont pas concrètes, relèvent davantage de la métaphysique ou du mysticisme, et de plus ne sont pas très compréhensibles.

Au cours des dernières décennies, on a pu observer un intérêt toujours plus croissant pour les arts martiaux orientaux, ainsi que pour la médecine, philosophie et culture orientales. La tradition culturelle indienne du Yoga est celle qui a été la plus étudiée et la plus habilement analysée (N. Roerich, E. Roerich, E. Blavatsky, Alice A. Bailey, Lucien Ferrer, Mesmer et beaucoup d’autres). Ses bases sont exposées de façon claire et compréhensible. L’attrait qu’exercent les doctrines philosophiques indiennes en Occident a ouvert la voie vers une approche d’ensemble de la vision orientale, vers la compréhension de l’unité du monde extérieur et intérieur. Les facettes principales de ces doctrines tendent à améliorer la santé physique et psychique et permettent de trouver les voies menant au perfectionnement de la personnalité dans son intégrité, c’est-à-dire avec l’ensemble indissolu­ble de tous ses composants. Le Yoga est devenu le système de régulation le plus populaire dans le monde occidental, et plus particulièrement le Hatha- Yoga. Cependant quel que soit le domaine abordé, les occidentaux ne vont aller, par nature, qu’à l’essentiel de chaque pratique, sans s’attarder sur les détails secondaires ou tout simplement sur les éléments “ évidents ”, afin de la maîtriser dans des délais considérablement plus courts que ceux de la source initiale.

L’attrait qu’exerce le Rajah-Yoga, avec ses possibilités surnaturelles, est encore plus grand. Ainsi certains se disent “ Si ça se trouve, ça va marcher ”, d’autres pensent “ Avec moi, ça va sûrement marcher ”. Évidemment, il est impossible de réaliser quelque chose sans maîtriser complètement l’ensemble des étapes et différents aspects qui composent l’enseignement. Cette approche est source de désillusions, le pratiquant pouvant par la suite développer une attitude négative vis-à-vis de l’enseignement au lieu de faire une critique objective de sa propre méthode d’apprentissage.

La vague des arts martiaux japonais (le Ju-jitsu, le Judo, le Karaté) a également inondé l’Occident mais seulement dans son aspect pratique. Ces arts martiaux ont donc aussi subi des modifications. La philosophie, la culture, les principes fondamentaux de l’éthique, inhérents aux arts mar­tiaux sont passés à travers les mailles du pragmatisme européen. De plus, on peut noter un processus inverse, avec au Japon, un engouement pour les aspects purement sportifs du Judo ou du Karaté et l’adaptation des arts mar­tiaux aux exigences sportives du monde moderne, c’est-à-dire occidenta­lisées, et un moindre intérêt accordé aux traditions.

On retrouve la même situation avec la vague suivante jaillissant de Chine. En sortant sur l’arène sportive, le Wu shu se transforme également. Les exigences propres aux compétitions sportives nivellent les particularités du style de chaque école afin de mettre en place des critères communs permettant l’arbitrage. Au final se cristallisent quelques styles plus communs, dépouillés, utiles à la pratique compétitive, et déjà sont apparus des sportifs qui considèrent le Wu shu comme des exercices libres de gymnastique sportive. Que devient l’aspect psycho-physique d’un style particulier, et surtout, la prise en compte de l’unité de l’Homme avec la Terre et le Cosmos ? Ils ne sont même pas abordés dans la plupart des cas. Parfois l’esprit comprend la philosophie de cette corrélation, mais ne trouve pas de réalisation sur le plan pratique. Seule une infime partie des pratiquants de Wu shu introduit davantage d’éléments dans son mode de vie, permettant de sortir l’esprit du Wu shu de la salle de sport et d’étendre, sur l’ensemble de la vie, un nouveau regard sur le monde ainsi que la position philosophique qu’apporte chaque style de Wu shu.

Tout système philosophique développé prévoit la régulation des processus internes de l’organisme en fonction de l’influence extérieure. Dans certains systèmes, cela occupe une place prépondérante (le taoïsme, le zen-bouddhisme), dans les autres une place plus secondaire, la primauté étant donnée aux principes sociaux (confucianisme), à l’éthique (enseignement de Spinoza) ou à d’autres principes. Mais tous les systèmes considèrent que l’harmonie entre extérieur et intérieur est la condition obligatoire pour atteindre le but. Et dans le monde occidental, la non-prise en compte de cet aspect, provoque l’altération de tout système oriental qui y est importé.

À notre avis, le Tao (Dao, Do) est le principe le plus précieux. C’est celui qui permet à n’importe quel système chinois de régulation de rester souple et actif dans un monde en perpétuel changement. Dans la source première du taoïsme, le traité Tao to king, le Tao est défini en ces termes :

 

Mes yeux s’écarquillent, et je ne le vois pas: il s’appelle l’Invisible.

Mon ouïe est en alerte, et je ne l’entends pas: il s’appelle l’Inaudible.

Mes mains se tendent et ne rencontrent rien : il s’appelle l’Impalpable.

Trois aspects indéfinis qui font l’unité.

En haut il n’est pas lumineux, en bas il n’est pas obscur.

Son éternité défie même le temps.

Il n’a pas de nom. Il vient d’un monde où rien de sensible n’existe.

Car la lumière appelle l’obscurité et l’obscurité existe par la lumière.

Le Tao est une forme sans forme, une image sans image.

Il est l’Indéterminé.

Nul ne connaît son nom. On l’appelle le Tao.

Il échappe à toute définition. Invisible, il est immense.

Immobile, il se propage à l’infini. En fuyant, il revient.

Ainsi, immense est le Tao.

L’homme épouse le rythme de la terre, la terre s’accorde avec le ciel, le ciel s’harmonise avec le Tao.

Le Tao est la loi, la voie de la nature.

Et la voie demeure, éternelle.

L’immobilité est le mouvement du Tao.

Dans sa faiblesse réside sa puissance.

Le Tao donne vie aux dix mille êtres, et par sa vertu il les nourrit.[1]


Le Tao c’est le début de toute réalité, la source et la cause première de la création de l’Univers. En s’incarnant d’abord dans le Ciel et la Terre qui sont ses créations concrètes et se manifestent à travers leur nom, il permet l’apparition et l’existence de tous les objets. L’image du Tao c’est le vide, l’abîme. Il ne possède pas de forme, ni de corps, il est profond, secret. Il est inépuisable, comme le gouffre, omniprésent, comme l’éther, il jaillit de toutes parts, comme l’eau. Le chaos primitif est la sphère initiale du génie créateur du Tao. Le Tao est le néant renfermant toutes les possibilités de l’Être. C’est pourquoi, du point de vue des taoïstes, il est l’Être absolu. La Voie - l’Homme - l’Univers est la trinité qui forme l’entier. L’homme se transformant, se réincarnant, marqué par son karma individuel, chemine selon la Voie - infinie pour tout homme, puisque son achèvement n’est possible que dans l’atteinte de la perfection, dans la formation de l’essence élevée, divine de l’individu. Le Tao to king parle d’un tel “ Homme - Tao ” :

 

Sans franchir sa porte, connaître le monde entier.

Sans regarder par la fenêtre, entrevoir le chemin du ciel...

Plus on voyage, plus la connaissance s’éloigne.

C’est pourquoi le Sage connaît sans se mouvoir, comprend sans examiner et accomplit sans agir.


Ainsi est établi le principe de contemplation passive, la méthode de non- action comme étant la voie vers la simplicité naturelle et l’état primitif. Une fois ceux-ci atteints, la perception du Tao dans le monde sera tellement limpide et évidente que le besoin de connaissance et d’action deviendra superflu. On atteint ainsi la vérité éternelle dans la fusion dans la Voie commune du Tao, des Voies de l’Univers et de la Voie de l’Homme. La raison d’être absolue de tout ce qui existe est le but final de son développement dans le taoïsme. L’Univers entoure l’Homme, il est la matérialisation de la Voie, et l’essence du monde physique et spirituel de l’Homme.

L’homme qui entre en contradiction avec le monde qui l’entoure, qui aspire à calculer de façon pragmatique le futur et à créer son destin par ses propres moyens, est semblable à une bête tentant de se rassasier en dévorant ses entrailles. Des mécontentements et des vibrations déformant le karma, vont alors apparaître devant lui sous forme d’obstacles nouveaux, inattendus, et de plus en plus infranchissables. Toute son énergie vitale s’épuise en efforts stériles, inutiles et vains pour se frayer un chemin, forcer, détruire quelque chose. “ La Vie est une lutte ” est la devise de tels martyrs. Il faut voir comme ils sont fiers une fois l’obstacle surmonté, ils ne se ren­dent pas compte que, par leur action, ils viennent de créer encore plus de “fissures, rides, plis” sur leur propre Voie.

Ce n’est pas la lutte qui apporte un apaisement dans l’interaction entre l’homme et le monde extérieur, mais la compréhension de ses principes, de son essence. Le calme produit l’harmonie intérieure quelle que soit la situation. L’harmonie intérieure, à son tour, rend harmonieux le chemin de vie, harmonise la perception du monde extérieur. C’est pourquoi les adeptes, les disciples de l’Âyurveda disent que, dans toute communauté, moins d’un pour cent de pratiquants suffissent à harmoniser le climat des rapports entre extérieur et intérieur de l’ensemble de la communauté.

La compréhension profonde de l’essence du principe du Tao est innée pour l’Oriental, le Tao plane dans l’air, l’entoure dès sa naissance et tout au long de sa vie, l’aide dans ses relations avec la nature, les hommes, la société. Il est la clé de la compréhension de l’essence des arts martiaux et de l’autorégulation. Il faut ajouter à cela le principe de l’unité, de l’interpénétration et de l’inter-échange de l’essence Yang et de l’essence Yin, présents dans n’importe quel phénomène et objet. Sa compréhension et son acceptation peuvent servir de base de régulation et d’accumulation du
potentiel psycho-énergétique de l’homme. La compréhension que sans Nuit il n’y a pas de Jour, sans Faiblesse il n’y a pas de Force, sans Pauvreté il n’y a pas de Richesse, sans Mal il n’y a pas de Bien, sans Cruauté il n’y a pas de Miséricorde et, en général, que sans Passif, sans Négatif il n’y a pas d’Actif, de Positif, permet à la philosophie de considérer n’importe quel problème d’une manière argumentée et sage.

Les notions de la dialectique, les lois des changements et de développement sont exposées dans le livre le plus ancien, un monument de la littérature chinoise, le Yi jing, encore appelé Zhu Yï, c’est-à-dire le Livre des Changements. Au moyen de signes et d’images, le Livre des Changements reflète le processus du mouvement général, le tourbillon éternel présent dans la nature, le cycle des saisons et des jours. Tout au long des siècles, ce livre a servi de base à la compréhension de l’interaction entre Ciel et Terre, qui engendre tous les éléments et forces des mondes extérieur et intérieur. Autour du texte principal, sont apparus une multitude de commentaires qui ont permis un approfondissement de la compréhension de l’ancien texte et de l’ensemble de ses contenus, déchiffrant et aidant à mener la sagesse de la source originale vers tous ceux qui le désirent. Les huit trigrammes initiaux : ba gua, sont le symbole de phénomènes naturels (ill. 1.1). Lorsqu’on se retrouve confronté au côté négatif d’un phénomène (ou situation), une telle approche permet de régler, d’augmenter et de comprendre ses ressources propres au lieu de laisser agir, de façon incontrôlée, les réflexes primaires, ce qui peut entraîner par la suite un déséquilibre dans le travail des systèmes internes et provoquer l’apparition de maladies.



Le troisième principe important est inhérent aux systèmes des arts mar­tiaux. Mais il n’est dévoilé que de façon très prudente, à contrecœur et en général de manière figurée, en supposant presque, que c’est au chercheur de trouver ce principe par lui-même. Il s’agit du principe de régulation énergétique. Lorsque l’on recherche le critère commun à toute relation existant entre les individus, entre les hommes et les animaux, les plantes, le monde animé et inanimé, on aboutit à la conclusion que le facteur commun est l’é­change d’énergie, l’influence de chaque intégrité énergétique sur les autres. L’ensemble de l’Univers connu de l’homme est pénétré par toutes sortes de flux énergétiques, de rayons, de champs, de tourbillons qui, en se croisant, s’influencent les uns les autres. Et toute cette multitude de flux s’écoule sur la Terre, en l’influençant et la modifiant. La plupart de ces flux exercent une influence de longue durée, irritante pour les organismes vivants. Ceux-ci vont réagir en activant leur système d’adaptation : le système immunitaire et les réflexes. La science étudie certains paramètres astronomiques influen­çant l’état de santé de l’individu et de la société en général, tels que l’ensem­ble de l’activité solaire, le passage des zones actives dans le méridien solaire central, l’activité cosmique, les influences planétaires et stellaires, l’influen­ce de la Lune etc. (ill. 1.2).

 

 

 

La Terre avec chacun de ses atomes, chacune de ses microstructures énergétiques constitue un système, un système colossal dans son intégrité (étant aussi très hétéroclite et bigarré), et qui influence l’homme en tant que particule le constituant. Cette influence se manifeste dans l’activité de son noyau intérieur, mais aussi dans les variations du champ thermique et des champs de pression, dans l’activité des tornades et des tempêtes, dans le mouvement des plaques tectoniques et dans beaucoup d’autres influences souvent inattendues. L’homme est entouré par tout ce cocktail varié d’interactions énergétiques globales, il y réagit instantanément en modifiant l’état de ses enveloppes énergétiques et de ses centres énergétiques. De plus, il existe de nombreuses influences plus spécifiques, plus fines qui maintiennent en permanence l’échange énergétique de l’homme dans un état fragile et instable. Il s’agit des conditions de vie, des particularités chimiques de la zone d’habitat, du milieu social, et du degré de résistance à ces influences intérieures et extérieures.

À notre avis, le caractère naturel des comportements basés sur ces trois principes, distingue avantageusement la mentalité de l’Oriental.

 

 



[1] Les citations sont extraites du Tao to king de Lao Tseu, dans une traduction de Conradin Von Lauer.